Le Houellebecq 2010 est-il un grand cru ?


Ma position est que Michel Houellebecq a souvent été « mal lu ». On a dénoncé un auteur uniquement porté sur le cul et le trash un peu racoleur, ce qui est quasiment un contresens de lecture.

Je me souviens d’un critique qui dénonçait La possibilité d’une île (2005) comme un roman partouzard (le héros y « partouze à droite à gauche »), alors même qu’il est construit sur l’impossibilité du héros à nouer des relations sentimentales et sexuelles satisfaisantes, et que le roman dissèque explicitement, à plusieurs reprises, des périodes de famine sexuelle durant de quatre à sept ans. Tout le sel du récit tient justement à ces tensions entre vide, manque et trop plein… De même, Plateforme (2001) décrivait pour l’essentiel l’aspiration du héros à une vie sentimentale riche, poétique, presque cucul, en tout cas loin des stéréotypes généralement plaqués sur le bouquin (« glauque », « déprimant », « vulgaire »…).

Dans La carte et le territoire (la cuvée 2010), Houellebecq prend gaiement le contrepied de ses détracteurs. Ils  ne le croient capable que de glauque et de déprimant ? Il leur en donne pour leur argent ! Quitte à verser dans la caricature…

La nouveauté, c’est que Houellebecq se portraiture lui-même. Le héros de son roman, Jed Martin, un artiste plasticien (photographe, peintre) qui va connaître un succès aussi fulgurant qu’inattendu, fréquente ainsi Michel Houellebecq, écrivain installé en Irlande, puis revenant s’installer dans le Loiret de son enfance. Et là, l’auteur franchit allègrement les bornes de la caricature : il force le trait, se présentant comme un loser neurasthénique, vêtu d’un pyjama taché de vin rouge, vivant dans son lit, installé au milieu du salon, parmi les miettes et les détritus… Ce double romanesque s’occupe essentiellement à crocheter des bouteilles d’excellent rouge et à ingurgiter du chorizo en grandes quantités (on a droit à tout un panégyrique de la charcuterie, est-ce une façon subtile pour Houellebecq de prendre position sur les fameux apéros saucisson-pinard, quelques années après sa saillie « l’Islam est la religion la plus con ? »).

L’avantage pour Houellebecq de se mettre lui-même en scène (autant d’ailleurs à travers le personnage caricatural de Michel Houellebecq que celui de Jed Martin, le héros, dont on devine facilement qu’il est lui aussi une projection, un alter ego du vrai Houellebecq) procède aussi d’une logique de clarification romanesque : Houellebecq a toujours été dans ses personnages (blanc, mâle, âge moyen, cadre moyen, vaguement loser et misanthrope…). Dans La carte et le territoire, il assume enfin pleinement ce procédé de projection, au contraire des Particules élémentaires où la séparation entre les personnages des deux demi-frères, Michel et Bruno, paraissait un peu factice. Certains passages où Houellebecq théorisait sur le monde étaient placés indifféremment dans la tête de l’un ou l’autre des demi-frères, rendant la distinction entre les deux personnages artificielle, et affaiblissant la construction romanesque du récit.

La limite de cet exercice de mise en scène,  c’est qu’à force de prendre le contrepied systématique de ce que la critique pense de lui, et de forcer le trait, Houellebecq touche, certes, au burlesque : il est fondamentalement et explicitement drôle. C’était en filigrane dans ses précédents romans (j’ai toujours trouvé que le côté hilarant, pince-sans-rire misanthrope l’emportait sur le glauque et le déprimant), dans La carte et le territoire c’est soudain beaucoup plus explicite, mais du même coup, c’est infiniment moins subtil. Par moments, cela vire au name-dropping  forcé (Begbeider, Jean-Pierre Pernaut…), voire à la caricature vacharde et gratuite (Patrick Le Lay en trou du cul alcoolique et pathétique lors d’une soirée du nouvel an chez Jean-Pierre Pernaut…).

Depuis que j’ai commencé à suivre l’œuvre de Michel Houellebecq (soit depuis Extension du domaine de la lutte), j’ai toujours pensé qu’il était un excellent essayiste (relire Rester vivant ou H.P. Lovecraft), un très bon poète (La poursuite du bonheur, Le sens du combat) et un romancier tout juste correct.

La carte et le territoire ne déroge pas à la règle, et au final, est même un peu en-dessous du lot. Par moments, et passé l’effet de surprise de la présence du personnage de Houellebecq, et la truculence de la caricature, on s’ennuie ferme… La partie « polar » ne décolle pas vraiment. Rien de comparable au souffle sci-fi et futuriste des Particules ou de La possibilité d’une île. Il y a quelques idées sur l’architecture, l’art contemporain, des intuitions plutôt bien vues. On sent que Michel Houellebecq s’est intéressé à son sujet, qu’il s’est documenté. Mais rien de transcendant non plus…

En revanche, et cela sauve un peu une seconde partie décevante, le meilleur vient à la fin, comme dans La possibilité d’une île. Les dernières pages vibrent de poésie, on sent qu’elles ont été longuement travaillées, ciselées. On retrouve le Houellebecq grand écrivain, poète, bien supérieur à son ami Frédéric Begbeider qui se bat avec les phrases et la syntaxe dans tous ses romans (le dernier en date, Un roman français, malgré les prix et la critique, ne fait pas exception).

En bref, on a affaire à une cuvée 2010 mitigée, de transition probablement, vers quelque chose de mieux on l’espère…

La carte et le territoire, Michel Houellebecq, Flammarion, 2010 – 450 pages.

Grande innovation: se met en scène lui-même, joue de son image, picole beaucoup et mange du chorizo (apéro saucisson-pinard ?).
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