C’est fou tout ce qu’on peut faire d’intéressant avec de vieilles centrales électriques. Une boîte de nuit par exemple, comme le Berghain à Berlin. Un des rares endroits au monde où écouter de la minimale germano-nippone un soir de semaine, jusqu’à quatre heures du matin, dans une salle de béton enfumée, fait partie du quotidien le plus banal.
Ou alors, un musée, comme la Tate Modern à Londres. Le bâtiment héberge un fonds d’art contemporain permanent sur deux étages, et accueille également des expositions temporaires. Les collections permanentes, en accès libre, rassemblent des œuvres produites du début du XXème siècle à nos jours. On y trouve entre autres des tableaux très contemporains et particulièrement frappants : Jane (2006) de Raqib Shaw, Bird in hand (2006) d’Ellen Gallagher, et Los Moscos (2004) de Mark Bradford (vu aussi chez les « nouveaux expressionnistes abstraits » exposés chez Saatchi en ce moment, sujet d’un futur billet).
Mais une œuvre en particulier a retenu mon attention : Das Rudel (Le troupeau), de Joseph Beuys, un prêt du Staatliche Museen de Kassel. L’œuvre date de 1969. Elle consiste en une installation mettant en scène un van Volkswagen dont sortent vingt-quatre luges en bois, toutes semblables.
Chaque luge représente un « kit de survie » : y sont fixés une couverture de feutre, un petit morceau de graisse animale et une lampe torche. L’œuvre fait bien sûr référence au mythe personnel de Joseph Beuys : pilote durant la seconde guerre mondiale, il est abattu par des tirs en Crimée, et doit la vie sauve à une tribu de Tatars qui l’extraient de son appareil, l’enduisent de graisse et l’enveloppent d’une couverture de feutre (un récit déjà rapporté dans un précédent billet).
Tout l’intérêt de l’œuvre tient également dans cette remarque de Beuys :
‘In a state of emergency the Volkswagen bus is of limited usefulness, and more direct and primitive means must be taken to ensure survival.’
« En cas d’urgence, le van Volkswagen est d’une utilité limitée, et des moyens plus directs et primitifs doivent être employés pour assurer la survie »
Le premier niveau de lecture est évident : les vingt-quatre luges qui bondissent joyeusement hors du van répètent à plus grande échelle l’opération de sauvetage dont Beuys a bénéficié.
Une dimension supplémentaire me paraît intéressante à souligner : le fameux van Volkswagen est emblématique de la culture hippie. Joseph Beuys, ayant réalisé cette œuvre précisément en 1969, ne peut complètement ignorer ce fait.
Dès lors, s’agit-il d’une critique prémonitoire de la révolution des sixties, « d’une utilité limitée » si l’on considère qu’effectivement, malgré les changements qu’elle a apportés, elle a aussi fini par donner naissance à l’individualisme et au matérialisme des années 80 ? Beuys, grand théoricien révolutionnaire (« La révolution, c’est nous« ), rêvait probablement d’une révolution plus « directe, » plus « primitive »…
2 réponses à “Joseph Beuys à la Tate Modern : « Le troupeau » et la Révolution”
[…] Joseph Beuys à la Tate Modern : “Le troupeau” et la Révolution […]
s’agit-il d’un non sens d’écrire que les sixties et leurs révolutions aboutissent au matérialisme et individualisme; la révolution s’est le retour su soi-même et non le chemin vers d’autres utopies;
la question est bien posée cependant car l’individualisme et le matérialisme sont ils nés des bas ventres des sixties.
je n’y crois pas. il ne faut pas prendre pour révolution de simple révoltes de mécontentement voire de gronde ou de grogne.
l’Homme est à lui seul capable de son devenir et le groupe ne fait qu’illustrer cette volonté. il n’appartient qu’à l’Homme de changer et de construire un monde nouveau mais qu’en est-il de sa volonté aujourd’hui ; je suis songeur.
cordialement Nicolas Chevalier
ps : je suis ravi de nos échanges et surtout de vos articles qui permettent ainsi la libre expression