Des mots pour « panser » la crise


Les mots de la crise

Parution le 29 avril d’une intéressante étude TNS Sofres sur Les mots dans la crise, réalisée pour le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) et le Secrétariat à la Prospective et au Développement de l’économie numérique, à l’occasion d’un colloque consacré aux « mots de la crise ».

La prospective, un art difficile. Un art tellement difficile que Nathalie Kosciusko-Morizet a décidé, je cite, de « rapprocher l’horizon de la prospective pour le recentrer sur les futurs immédiats ». Intention louable, enquête TNS Sofres à l’appui. C’est ce qu’on va voir maintenant.

Prévoir le passé, c’est coton aussi. Afin de prendre la mesure de la gravité de la situation selon les Français, l’institut a posé, entres autres, la question suivante : « Pensez-vous que la crise actuelle est plus/aussi/moins grave que la crise de 1929 ? ».  Question à deux centimes d’euros. Je me demande bien quelle valeur a une telle comparaison (à part auprès des centenaires, qui ont vécu la crise de 1929, et des profs d’économie, qui la revivent tous les jours dans les livres) ? J’aurais préféré une formulation du type « plus/aussi/moins grave que l’élimination de la France au premier tour de la Coupe du Monde de football de 2002 ? ». Là, au moins, on aurait été sûrs d’avoir une échelle de gravité parlante et compréhensible par tous…

L’effet Antoine Waechter. Autres questions, autres résultats. 61% des Français souhaitent que le système capitaliste soit réformé en profondeur, mais seuls 11% y croient. « Je me bats contre des idées dont je ne suis même pas sûr qu’elles existent »… : à force de citer cette phrase d’Antoine Waechter, rapportée par Michel Houellebecq dans Rester vivant, j’ai décidé de baptiser « effet Antoine Waechter » cette espèce de désenchantement idéologique si typique de notre temps. Après tout, il s’en invente tous les jours, des effets untel ou untelle (effet Streisand, point Godwin, point Orwell…).

« Dessine-moi un mouton ». Outre les questions d’opinion, la nouveauté de cette enquête est de proposer une typologie des Français fondée sur une analyse sémiométrique (appréhension des systèmes de valeurs à travers un corpus de 210 mots). Cette typologie permet, selon TNS Sofres, de « dessiner les différents profils des Français et de leurs attitudes face à la crise ». Alors, de quoi se compose le troupeau ?

  • 29% de « battants » : plutôt épargnés par la crise, jeunes, diplômés, disposant de hauts revenus et attachés à des valeurs très conservatrices (ils valorisent les mots patrie, prêtre, Dieu, gloire, héros, etc.). Bref, une espèce d’armée de moines-soldats… ?
  • 13% de « rebâtisseurs » : plutôt des rebâtisseuses d’ailleurs… Les seuls à avoir une appréhension franchement optimiste de la crise. Ils aiment les mots « bleu, tendresse, féminin, intime, sublime… ».
  • 23% de « repliés » : une espèce de ventre mou, qui se définit par opposition plutôt que par des convictions, et se compose de pas mal de jeunes et de cadres (pas très encourageant pour l’avenir, tout ça !).
  • 19% de « réformateurs » : les dignes représentants de l’effet Antoine Waechter ! Selon TNS Sofres, ils « anticipent une crise longue et souhaitent, sans y croire véritablement, une réforme du système capitaliste ».
  • 16% de « sinistrés » : les victimes de la crise, les plus vulnérables, en quête de sérénité et de réassurance.

Ça nous fait une belle jambe. Un doute m’assaille quand même à la lecture de ces résultats. Comme avec toute typologie, les groupes sont bien entendu un peu monolithiques par rapport à la diversité des situations réelles. Ils manquent également de substance : on aimerait davantage de caractérisation par des variables d’opinion, et peut-être aussi des citations, des verbatims pour étayer ces portraits.

Mais surtout, en quoi est-ce que cette typologie peut aider la prospective et la prise de décision ? On peut penser la crise avec des mots, mais est-ce comme cela qu’on la panse ? Sans faire que le résultat soit celui d’un pansement sur une jambe de bois ? Et, en plus, Les mots de la crise, Bernard Sananès en avait déjà eu l’idée en décembre 2008, dans une étude réalisée à partir d’un corpus de mots adhoc…

Petit jeu pour terminer : vous-même, à titre personnel, à laquelle des cinq classes ci-dessus pensez-vous appartenir… si tant est que vous vous y retrouviez (réponse dans les commentaires SVP) ?

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