Des chercheurs viennent de mettre en lumière le fait que les comportements égoïstes au volant (selfish driving) débouchent sur… des bouchons à l’échelle collective (merci à Pied-à-Terre qui m’a signalé cet article). Pas un scoop en soi, sauf que la conclusion à laquelle ils arrivent est, elle, assez novatrice. Et pourtant, elle ne me satisfait pas complètement…
En gros, les auteurs observent que le fait que chaque conducteur cherche en permanence à optimiser son trajet, en recherchant pour soi la route la plus rapide, conduit à la réalisation d’un équilibre sous-optimal pour la collectivité des conducteurs. Les auteurs baptisent l’écart entre cet équilibre sous-optimal et l’équilibre optimal prix de l’anarchie (Price of Anarchy).
A partir de modélisations informatiques et de mesures du trafic réel à Boston, Washington et Londres, ils arrivent à une conclusion à première vue paradoxale. Pour réduire les bouchons, il faudrait supprimer des routes, et non en créer de nouvelles. En effet, en réduisant le nombre de routes, on réduit les possibilités de choix offertes à chaque conducteur, et donc leur possibilité de nuire à la réalisation d’un équilibre optimal collectif.
Cette tension entre choix individuels et intérêt collectif me fait fortement penser aux théories des jeux et des externalités. Habituellement, ces théories démontrent la vertu d’une coordination collective pour échapper aux impasses du libre jeu des intérêts individuels (conflictuels par nature). Cet exemple des trajets intra-urbains ne fait pas exception, puisque, si le bien-fondé des travaux de ces chercheurs se confirment (ils sont encore en développement), il reste raisonnable de faire appel aux pouvoirs publics pour aplanir les difficultés de circulation. Le remède est nouveau (fermer des routes plutôt qu’en ouvrir), mais le volontarisme et l’interventionnisme restent les mêmes.
Pourtant, les résultats de cette étude me laissent sur ma faim. En particulier, je ne sais pas si les chercheurs ont intégré au modèle les changements apportés par les nouvelles technologies type GPS. Quel est l’impact de ces nouveaux outils ? Est-ce qu’ils renforcent le selfish driving, en rendant plus efficaces les stratégies individuelles, et donc, dans la logique du modèle, plus nocives encore leur impact sur l’équilibre collectif ? Ou est-ce qu’au contraire, ils permettent un changement de paradigme qui invalide la logique du modèle et permet de réconcilier optimums individuel et collectif ?
Je me demande ce que vous en pensez… même si j’ai une petite idée là-dessus ! A suivre très bientôt…
9 réponses à “Planification urbaine (I) : comportements égoïstes, prix de l’anarchie et rappel à l’ordre”
C’est pas un peu paradoxal de vouloir fluidifier le traffic en réduisant le nombre de voies?
Interessant cette etude.
en observant les bouchons a Moscou je confirme sur plusieurs exemples l’existence d’autres routes utilisees dans une strategie selfish driving renforcent les embouteillages. Mais les supprimer ne supprime en general pas l’embouteillage, d’autant plus qu’ici il n’y a pas besoin d’avoir de route pour mettre en place un itinéraire alternatif selfish driving (les trottoirs, les rues a contresens, les cours d’immeubles…).
http://brisonslaglace.blogspot.com/2009/04/highway-to-hell.html
@elrringpeace : il faut se plonger dans le détail de l’article pour comprendre vraiment comment ils arrivent à cette conclusion. Et encore, l’article lui-même ne fait que résumer les grandes lignes. C’est justement ce paradoxe que je trouve intéressant.
Mais je trouve aussi qu’il y a une dimension politique implicite dans ces travaux, puisque l’idée est de réduire « le prix de l’anarchie » en réduisant la liberté de choix offerte à chacun, au moyen de contraintes supplémentaires (fermetures de routes) imposées par les autorités.
C’est sur cette dimension politique (non abordée dans l’article) que je souhaite prolonger la discussion.
@joseph : impressionnante cette vidéo ! C’est tout à fait l’idée. Qui n’a jamais été pris dans un embouteillage, parce qu’un conducteur trop pressé ou se croyant plus malin que les autres a forcé le passage à un feu rouge, pour se retrouver bloqué en plein milieu d’un carrefour, et finir par entraver la circulation dans les deux sens ?
Je n’avais pas vu ça sous cette angle là. Bien trouvé. J’ai l’impression que l’on retrouve l’antagonisme liberté/sécurité dans cette dimension politique. Même si ici la sécurité s’apparente aussi à la fluidité du traffic, les deux sont liés. C’est souvent la même question: « jusqu’où est on prêt à restreindre notre liberté pour pouvoir en jouir pleinement? » (et oui, humeur philosophique aujourd’hui :).
Au fait, la vidéo m’a vraiment fait marrer; n’ayant même pas encore passé le code je me vois souvent agir un peu de la sorte 🙂
[…] Planification urbaine (I) : comportements égoïstes, prix de l’anarchie et rappel à l&#… […]
Histoire d’une expérience intéressante : http://blog.tcrouzet.com/2008/06/22/rever-de-routes-plus-securisees/
@La Guirlande : très intéressant en effet ! Cette idée de supprimer toute signalisation routière (« Quand on enlève les signalisations, quand les hommes s’interconnectent en direct, la ville reprend vie ») est encore plus radicale, mais elle repose sur les mêmes approches que celle que je décris dans mon second post : interconnexion, auto-organisation, introduction de plus de libertés dans le système… Merci pour la découverte de ce lien !