Un quart d’heure avant Andy Warhol


Andy Warhol au Grand Palais
« Ethel Scull 36 Times », 1963, Andy Warhol (1928-1987) – © 2009 Andy Warhol Foundation for the Visual Arts Inc. / Adagp, Paris 2009

On se calme. L’exposition Le Grand monde d’Andy Warhol (une galerie de quelques 250 portraits – essentiellement des célébrités) au Grand Palais à Paris a certes ouvert ses portes le 18 mars, mais celles-ci resteront ouvertes jusqu’au 13 juillet 2009. On a donc tout le temps de décider si on y va, suivant en cela le consensus médiatique, ou pas. Si on surmonte l’aversion pour les queues interminables, les trépignements obligatoires et autres turpitudes associées au lieu (dernièrement, pour l’expo Picasso et ses maîtres). Si, au fond, on estime qu’Andy Warhol en vaut la peine.

Parce que je suis comme tout le monde, moi. Andy Warhol, je connais. Le pape du Pop Art. Le quart d’heure de célébrité. La Factory. Le portait de Marilyn ou les soupes Campbell, déjà vus cent fois aux murs des appartements dans les magazines et les émissions de déco.

Jacques Braunstein, dans un billet publié hier sur slate.fr, résume assez bien la situation. Au fond, ces portraits sont consensuels, ils fascinent (les beautiful people, la beauté et l’argent, la puissance), mais aussi rassurent (le traitement pop, le langage à présent archi-familier de l’image tel qu’il se décline sur tous les supports et tous les formats : magazines, spots publicitaires, longs métrages, déco d’intérieur…). Ces têtes, elles feraient tellement bien en papier peint sur les murs de la maison… Certainement, Andy Warhol a été en partie victime de son succès. Sa volonté de démocratiser l’art, ainsi que la récupération de son discours par les art directors dans les années 60 et 70, a fatalement fini par affadir le caractère novateur de son oeuvre.

L’automne dernier, dans le cadre d’une exposition sur l’artiste et son mythe au XXème siècle (Le Culte de l’artiste), la Hamburger Bahnhof à Berlin exposait concomitamment Joseph Beuys (We Are the Revolution) et Andy Warhol (Andy Warhol and the Stars). Ou plutôt, devrais-je dire en concurrence au lieu de concomitamment ? Quand on ne dispose comme moi que de quelques heures, il faut faire des choix…

L’expo Warhol à Berlin contenait, je pense, moins de pièces qu’à Paris, mais agencées dans le même esprit. On y trouvait tout de même les principales œuvres emblématiques : Marilyn Monroe, Mao Zedong… Bref, un condensé de ses portraits – mais déjà en trop grand nombre. Sérigraphie, répétition, couleurs criardes, tout crie au gimmick dès la deuxième salle. Voici ce que Warhol lui-même disait de ses portraits :

« Tous mes portraits doivent avoir le même format pour qu’ils tiennent tous ensemble et finissent par former un seul grand tableau intitulé Portrait de la société. Bonne idée, non ? Peut-être que le Metropolitan Museum voudra l’acquérir un jour ».

Au fond, c’est probablement pour cette raison que son œuvre ne m’émeut guère. Portrait d’une époque, elle reste figée dans le passé. Elle représente un moment certes important, voire décisif, dans l’évolution de l’art contemporain, et, plus généralement, de nos sociétés. Jacques Braunstein rappelle d’ailleurs qu’à ce titre, on lui « met sur le dos » un peu facilement bon nombre de ces évolutions, à commencer par la superficialité et la fascination des images.

Soit. Mais, soyons injustes, ça ne suffit pas à me rendre son œuvre plus désirable. J’ai envie d’ajouter, en toute mauvaise foi, bien d’autres griefs : tout le monde est art director (d’où Valérie Damidot et l’émission D&co), tout le monde est une célébrité en puissance, pour au moins quinze minutes (Nouvelle Star, Star Academy), tout ce que people fait vaut la peine d’être immortalisé (Voici, Closer), tout individu qui ne possède pas une Rolex passé cinquante ans a raté sa vie (Jacques Séguéla, Nicolas Sarkozy)…

J’ai donc terminé la section Warhol au pas de course, afin de passer davantage de temps à découvrir le monde de Joseph Beuys. Intello, obscur, repoussant parfois (l’artiste manipule le feutre, la graisse, le sang, créé des installations déroutantes, enregistre des vidéos engagées, tient des discours incendiaires), voilà le travail de Beuys, qui en revanche fascine par sa profondeur, ses prétentions politiques (La révolution, c’est nous), son mythe personnel riche et dérangeant (lire ce précédent billet).

Quid de l’expo à Paris, donc ? Selon Jacques Braunstein, la dernière salle des Galeries Nationales du Grand Palais vaudrait la peine qu’on s’y attarde… On y retrouverait un Andrew Warhola confronté à son obssession de la mort, et à son héritage complexe d’émigré slovaque se débattant avec ses influences byzantines, catholiques et new-yorkaise… A voir, peut-être, d’ici quelques jours, ne serait-ce que pour critiquer en toute connaissance de cause.

Edit (26/05/09) : lire le compte-rendu d’après-visite ici.

Présentation de l’expo et infos pratiques sur le site de la RMN.

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16 réponses à “Un quart d’heure avant Andy Warhol”

  1. Analyse intéressante. Je dirais que Warhol donne envie car c’est très accessible. Cela nous peut-être l’impression d’être des gens cultivés parce que l’on s’intéresse à « l’art ». Mais effectivement si je pense aux stickers de V. Damidot… hum !

  2. @bullesd’infos : bonjour, et bienvenue à nouveau sur Morningmeeting ! Ce que tu dis est tout à fait juste. Il y a un côté valorisant à aller voir Warhol plutôt que les Ch’tis, et ce, sans la prise de tête d’aller voir quelque chose de plus expérimental, de plus « risqué ». Et cette accessibilité, il l’a défendue et voulue, ce qui était novateur en son temps. Depuis, j’aurais tendance à dire que ce discours s’est retourné contre lui…
    Tiens, d’ailleurs, en parlant de stickers, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de lui coller aussi sur le dos les autocollants de la RATP ? Après tout, ils sont assez BD et pop, certains sont même tout bariolés !

  3. Effectivement j’irais même plus loin : certaines stations entières de la RATP sont étrangement pop et bariolés. Ils ont appelé M6 tu crois ?
    Pour en revenir à Warhol, son discours s’est retourné contre lui aujourd’hui avec l’émergence de la communication numérique. Forcément son discours parait moins révolutionnaire aujourd’hui (notamment le 1/4 d’heure de célébrité). Et puis effectivement toutes les imitations dans les boutiques de déco, ça banalise son style au risque de l’appauvrir.

  4. C’est vrai que les stations rénovées ne sont pas toutes une réussite, mais il y en a beaucoup que j’aime bien (Arts et Métiers par ex., une des premières à avoir été rénovée il y a 10-12 ans).
    J’ai quand même envie de tenter ma chance au Grand Palais. J’hésite, parce que j’ai donc vu une bonne partie des oeuvres et de la scénographie à Berlin il y 4 mois, mais l’article de J. Braunstein a créé de la curiosité sur cette fameuse « dernière salle ».
    Je pars en vacances ce soir pour une dizaine de jour, je verrai à mon retour. Si tu y vas, ton avis m’intéresse !

  5. Tout à fait ! Il y a cette pochette. Plus largement, il a « incubé » le Velvet Underground à la Factory. Cela dit, je préfère, rétrospectivement, la contribution du Velvet au rock à celle de Warhol à l’art, si tu vois où je veux en venir ?

  6. je comprends ton point de vue mais je trouve que Andy Warhol ce n’ est pas seuleument un artiste populaire au discours aujourd’hui devenu demago, je trouve qu’ il y a une vraie culture derrière le personnage, bien que ça ne soit pas celle qui soit le plus mise en avant.

  7. Bonjour et merci pour ce commentaire ! J’ai volontairement choisi de m’interroger sur ce genre d’expo. Souvent, un lieu prestigieux + un artiste adulé donne une expo assez fade. Dans le cas de Warhol, j’ai vraiment cette crainte. Mais je ne demande qu’à être détrompé ! Peut-être que l’habileté du commissaire de l’expo saura mettre en avant les points forts de l’artiste.

  8. Il me semble que tu attaque l’auteur de mon avatar dans pearltrees!
    Il y a toujours des niveau de profondeur recherche très différent en art comme pour les sciences d’ailleurs.
    Il me semble que Warhol est grand public. C’est un publicitaire un peu. Mais ça grande vertu est d’amener les gens à penser (à) l’art. Je pense que c’est notamment, par des vulgarisateurs comme Warhol que nous finissons par nous intéresser au travaux de Joseph Beuys.
    Je pense qu’il faudrait une petite carte pédagogique pour mettre en image ton propos, tu pourrais, par exemple, l’embedder dans ton article.

  9. oui morningmeeting, c’ est souvent le problème : Warhol est certainement adulé par un tiers de personnes qui admirent son art et deux tiers qui l’ aiment juste parce que ça fait bien de dire qu’ on aime Warhol, donc peut etre que le résultat n’ est pas toujours à la hauteur.
    Cependant je crois que celle-ci est la plus grande expo jamais réalisé sur Warhol et ils y traitent aussi sa fascination pour la mort ; mais je sais que certaines m’ ont dit avoir trouvé cette expo trop longue et finalement ennuyeuse.
    Enfin bref, je te laisse te faire ton propre avis et nous dire ce que tu en as pensé (j’ y vais en juin donc ça m’ interesse particulièrement)

  10. @stetoscope : hello ! on peut embedder sans problème sous WordPress ?
    @rihana : normalement j’y vais le 18 avril. J’aime la façon dont tu présentes ton intérêt pour Warhol sur ton blog. J’aimerais moi aussi voir plus de choses « substantielles » sur le personnage : comme tu dis, son côté maso, auto-dérision, fascination pour la mort… Je pense faire un autre billet après la visite. A suivre donc !

  11. En fait, sous wordpress, si tu es aussi hébergé par wordpress c’est impossible parceque wordpress n’autorise pas les javascripts.
    2 possibilités :
    – changer de plateforme d’hébergement (en gardant l’interface de gestion wordpress) mais c’est un peu compliqué.
    – Attendre que l’on ait développé un embed bis sans javascript, ce qui devrait bientôt arrivé.
    A+

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