Au sujet du Metaverse…


Walter Benjamin © D.R.

Il fallait bien l’émergence de tout un univers « nouveau » pour tirer Morningmeeting de son sommeil… Voici donc quelques réflexions en vrac à ce sujet.

Tout d’abord, le Metaverse (ou plutôt « les », car il se compose à l’heure actuelle de différents univers séparés les uns des autres, et qui ne sont pas en capacité d’échanger) est d’évidence encore peu mature. Les univers créés sont souvent pauvres et décevants du point de vue de l’interface, du graphisme, des fonctionnalités etc. Ce qui est d’autant plus surprenant si on se réfère aux univers du jeu vidéo qui, eux, ont des moteurs graphiques époustouflants et des fonctionnalités nombreuses. A côté, le rendu d’univers comme Roblox ou, pire encore, Cryptovoxel est franchement décevant.

Ce point (le rendu esthétique, la « jouabilité ») est pourtant particulièrement important, car il conditionnera l’adoption de ces univers par un large public. On peut faire un parallèle avec les premiers jeux vidéos reposant sur la création de mondes virtuels dans les années 80-90. A l’époque, il fallait une sacrée dose d’imagination pour se projeter dans des graphismes en 3D filaire, ou, dans le meilleur des cas, recouverte de vilaines textures… Et il fallait de la persévérance pour passer outre les critiques du grand public : « c’est moche, ça marchera jamais ! ». Pourtant, avec le recul, force est de constater que ces pionniers du gaming avaient raison d’insister.

Ensuite, le volet « art digital » (puisqu’on parle avant tout d’art sur Morningmeeting) est un des moteurs principaux du Metaverse en termes d’usages, d’adoption et donc, potentiellement, de modèle économique – derrière le gaming ou la finance décentralisée certes, mais c’est aussi le secteur qui a le plus progressé ces 12-18 derniers mois.

Il s’appuie notamment sur les fameux NFT, ces « jetons non fongibles » qui permettent de créer des oeuvres d’art numériques uniques, authentifiées, traçables et sécurisées. Là aussi, on peut être dubitatifs sur la qualité des oeuvres ainsi créées (CryptoPunks, Bored Apes… pour ne citer que les deux exemples les plus populaires), ou pointer du doigt le mécanisme hautement spéculatif qui les anime (mais qui n’est pas étranger non plus au monde de l’art traditionnel…).

Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse pour le moment. Ce qui m’intéresse à plus long terme, c’est ce fait unique que permettent les NFT : remettre de l’unicité et de la rareté dans un univers digital qu’on croyait voué sans retour possible à la duplication à l’infini. En 1935, Walter Benjamin dissertait au sujet de « L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». Il évoquait alors des techniques de reproduction essentiellement mécaniques : photographie, impression, gravure de phonogrammes…

Eh bien, près d’un siècle plus tard, alors même qu’on pensait que la reproduction numérique allait définitivement sonner le glas de l’authenticité (qu’on repense aux controverses autour des formats numériques comme le MP3 et à leur impact dans le monde de la musique), émerge une technologie qui renverse à nouveau le paradigme.

Au-delà de la valeur (du manque de valeur ?) intrinsèque des quelques « punks » et « singes » en circulation, se profile peut-être quelque chose de bien plus grand… Un mouvement de libération de l’art (comme le souhaitait Walter Benjamin) ? Ou au contraire, une accélération de sa « fétichisation » (comme le craignaient les successeurs de Benjamin tels que Theodor Adorno) ?

Le débat est (tout juste) ouvert.

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