« avide/à vide » : photographies de Bernard Soria à l’Espace Châtelet-Victoria, Paris, du 4 au 17 février 2010


Une bien belle découverte que cette exposition, et pas parce que je connais le photographe (à l’origine, dans un contexte professionnel, donc radicalement différent).

J’ai eu ce midi le privilège d’une visite guidée de l’exposition avide/à vide par Bernard Soria. Le jeu de mots du titre de cette exposition fait référence aux interrogations de l’artiste sur la crise économique que nous traversons actuellement : avidité, sensation de vide ?

avide/à vide organise en quelque sorte une réponse à ces interrogations, sous la forme de deux séries de tirages photographiques de formats variés, respectivement exposés au rez-de-chaussée et au sous-sol de l’Espace Châtelet-Victoria, à Paris.

Conversations, la première série, rassemble douze photographies mettant en scène des mannequins de couturier (masculins et féminins) dans « des situations de fausse écoute, de fausse discussion ». Placés tour à tour face-à-face, dos-à-dos, par paire, triade, voire seul (Conversation n°12, « qu’on pourrait sous-titrer : Le Monologue ! »), ces mannequins parodient des situations de communication réelles entre êtres humains : ici, un dialogue, là, peut-être, une dispute, plus loin, une rencontre…

Ces mannequins sont photographiés dans un lieu vide, sans marqueurs spatiaux précis. Seules quelques moulures discrètes ou embrasures de portes indiquent parfois qu’il s’agit probablement d’un appartement Haussmanien. La plupart des photographies sont shootés en lumière naturelle, parfois dans une quasi obscurité, avec un appareil argentique. Ce choix donne aux reproductions un grain, une texture, tout à fait savoureux.

Le tour de force réside dans le sens de la composition (le choix du nombre de mannequins, leur disposition) et le travail sur la lumière. D’un sujet statique, dans un décor dépouillé, Bernard Soria parvient à faire une composition vivante : la lumière qui joue sur les courbes des modèles féminins donne à certaines des Conversations un ton intimiste, chaleureux, presque érotique – au passage, la vignette ci-contre ne lui rend absolument pas justice… Il faut voir l’original, en grand format, convenablement éclairé, et bien encadré également.

Dans d’autres compositions, c’est au contraire un sens esthétique proche de l’abstraction qui l’emporte : les plans resserrés, l’élimination de toute ombre, créent des figures en aplat, sans volume et sans relief, qui évoquent la peinture abstraite. Bernard Soria avoue d’ailleurs volontiers que sa première source d’inspiration est plutôt « la peinture, les peintres et les tableaux exposés dans les musées », que la photographie. Pensez Magritte ou Morandi pour les couleurs, le travail sur l’objet, le décalage et l’ironie qui affleure dans certaines compositions…

La seconde série, intitulée Disparitions, est assez différente au premier abord : ce sont des scènes shootées en extérieurs. Pourtant, on y retrouve très vite la patte (ou plutôt l’œil) du photographe. Là encore, Bernard Soria fait référence aux traditions picturales, puisqu’il s’agit de scènes maritimes ou portuaires, dans la lignée des « marines », ces tableaux de genre dont certains peintres se faisaient quasiment une spécialité dans le temps (voir par exemple l’œuvre d’un Joseph Vernet).

Disparitions joue sur des effets de flou, de transparence, du fait des choix de mise au point et/ou des conditions météo au moment des prises de vues. La plupart des œuvres ont en effet été shootées lors d’une tempête de neige en Mer du Nord. Ce qui « disparaît » ici, ce sont des éléments du paysage : des bateaux, des grues ou des containers à l’arrière-plan, sur mer ou dans le port.

A regarder de près ces apparitions de voiliers qu’on dirait d’époque, enveloppés de flou, on pense à la légende des bateaux fantômes et au Hollandais Volant, ce navire revenu de l’enfer avec à son bord un équipage de morts-vivants.

Plus loin, un triptyque shooté depuis la cabine d’un petit bateau bravant la tempête évoque, par-delà la froideur du sujet, un univers justement « disparu », avec ses couleurs qu’on dirait issues d’un épisode de Derrick, ou ce journal, imprimé en flamand, plié et déposé au premier plan, comme un indice trop évident, disposé là par le scénariste paresseux d’un téléfilm des années 70. Et, d’une photo à l’autre, on voit apparaître, puis disparaître, dans le mouvement des essuies-glace du bateau, une grue presque entièrement dissimulée derrière un rideau de neige, posée sur le quai d’un port de la Mer du Nord…

Selon les mots mêmes de Bernard Soria, à contempler ces prises de vues, « on ne sait pas où on est, et pourtant, on fonce, on y va, on avance ». Ce qui redonne tout son sens au titre de l’exposition, et nous ramène au regard critique posé sur notre monde en crise par l’artiste…

…future matière à un épisode d’Artmeeting !

« avide/à vide » : photographies de Bernard Soria à l’Espace Châtelet-Victoria, à Paris, du 4 au 17 février 2010 (prolongation annoncée jusqu’au 21 février).
Informations et renseignements pratiques sur le site web de l’Espace Châtelet-Victoria.

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3 réponses à “« avide/à vide » : photographies de Bernard Soria à l’Espace Châtelet-Victoria, Paris, du 4 au 17 février 2010”

  1. Les mannequins me font penser à un vieux clip d’a-ha !
    Balgue à part, j’aime beaucoup les disparitions de navires…Une pensée pour le docteur Godard.

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