Artiste prolifique, Nick Grey multiplie depuis 2002 les aventures musicales décalées et les collaborations les plus prestigieuses avec des pointures de la scène expérimentale (le collectif 48 Cameras, Tony Wakeford de Sol Invictus, Charlemagne Palestine, Martyn Bates de Eyeless In Gaza, etc.). Ses compositions évoluent entre folk délicat, ballades nostalgiques, pièces instrumentales épiques à la Silver Mount Zion et autres envolées lyriques.
Résidant pour partie à Monaco, pour l’autre au Québec, il a accepté de jouer le jeu de l’interview, par email. Loin de tout effet de mode, avec le flegme et le talent qui le caractérise, il revient pour Morningmeeting sur ses collaborations et sa discographie déjà conséquente, la notion de plaisir pur en musique, son apprentissage du jeu de guitare, sa vision de la production, de l’édition et de la diffusion de musique, son travail d’illustrateur sonore et ses projets à venir.
J’ai découvert ton travail avec l’album-OVNI de L’Église du Mouvement Péristaltique Inversé en 2002. Depuis, tu as composé et produit de la musique à travers une multitude de projets solo, de groupes, ou de collaborations : Nick Grey & The Random Orchestra, Empusae, Foxtrot Empire, 230 Divisadero, 48 Cameras… pour ne citer que quelques-uns des plus actuels. Peux-tu donner quelques repères et clés d’entrée sur ces différents projets, afin que le lecteur/auditeur novice puisse s’orienter ?
Absolument. Je me rends compte en t’écoutant que j’ai pu avoir une certaine tendance à me disperser. Aujourd’hui, moins : en langage des couleurs, on pourra dire que j’ai évolué de l’irisé matière au jaune naissant lumière. Pour résumer, The Random Orchestra a été mon projet principal pendant ces dernières années, un terrain de jeux et d’expériences, qui m’a amené à travailler avec des gens incroyables que j’aime profondément, Martyn Bates, Charlemagne Palestine, Kris Force… 48 Cameras est le « collectif virtuel » de Jean Marie Mathoul, un autre laboratoire fascinant… ne pas hésiter à aller inspecter leur site web. 230 Divisadero est le duo avec Matt Shaw, de Tex La Homa. Un premier LP est sorti chez Locust Music fin 2007, une mini tournée a suivi ; le projet devrait se remettre en activité très bientôt.
Mais mon actualité principale, en dehors de mes travaux en solitaire, c’est Foxtrot Empire, un duo folk bancal d’inspiration 70s que je fais vivre avec Louis Pontvianne, un multi-instrumentiste, je dois l’avouer, assez extraordinaire. Et barbu avec ça. Nous avons dernièrement repris le « So What » de Pink, dans la jubilation totale. Je renoue un peu, dernièrement, avec la notion de plaisir pur en musique, je me suis mis à la guitare, au piano, j’essaie de développer ma capacité à sentir la musique de manière physique. C’est une phase importante de réincarnation, j’imagine.
» Ecoutez Death of the Dogman, extrait du prochain album de Foxtrot Empire (une fois sur la page, cliquez sur► pour lancer la lecture).
«Réincarnation»… le mot me semble assez approprié, en effet. A travers chacun de ces projets, tu navigues entre des univers très différents : rock, folk, opéra, musiques électroniques parfois dark ou expérimentales, mais toujours avec une «patte» particulière. Un peu comme quand on découvre un album des Residents : quoiqu’ils aient mis dedans, on peut être sûr que ce sera du Residents. Qu’est-ce qui fait qu’un disque de Nick Grey sera toujours du Nick Grey? Est-ce cette notion de «plaisir pur» à laquelle tu viens de faire allusion ?
C’est à dire que rien n’est planifié… je n’ai pas de réelle formation musicale, à la base, donc je compose surtout au flair. Et non, ce plaisir-là, je l’avais perdu il y a quelques années, à force d’acquérir des automatismes, de connaître un peu trop par cœur mes propres mécanismes. Je ne l’ai retrouvé que l’année dernière lorsque j’ai acheté ma première guitare. L’objet, impossible à maîtriser dans un premier temps, a instantanément réintroduit une bonne part d’aléatoire dans mon univers. Les premiers mois, c’était cathartique, les doigts saignent mais impossible d’arrêter, tout ce qui t’habite finit par passer dans le bois. Ma patte, je ne sais pas trop ce que ça peut être, sans doute une forme de sincérité totale presque enfantine et qui est toujours là, même dans les moments les plus absurdes.
En termes de distribution, tu as créé tes propres structures (Milk & Moon Recordings…), ou bien bénéficié de la distribution de labels indépendants (Beta-Lactam Ring Records…). Tu es aussi présent sur le Net, où plusieurs de tes morceaux sont à l’écoute sur Myspace ou Virb par exemple. Quelle vision as-tu du business de la musique aujourd’hui ? Le plan de carrière parfait passe-t-il toujours par la signature avec une Major ? Ou crois-tu au potentiel des nouvelles formes d’édition et de distribution musicales ?
Les Majors, je ne sais pas ce que c’est. Connais pas du tout. J’ai toujours vécu ma carrière artistique dans l’instant, à l’intuition totale : une fois ma musique créée, en général, quelqu’un se manifeste à la suite d’un coup de coeur et me fait part de son désir de m’aider à la promouvoir. Dans d’autres cas, je prends cette initiative moi-même, cf. Milk & Moon, et je la dévoile au monde en éditions limitées, assemblées et peintes à la main. Au final, je dois avouer que le disque, pour un musicien totalement indépendant, peut avoir tendance à apparaître comme une forme de carte de visite luxueuse. Lorsqu’on presse un album à 1000 exemplaires, il ne faut pas s’attendre à des retombées phénoménales – en effet, la musique circulera surtout via internet et c’est très bien comme ça.
Cela étant, je suis incapable de faire commerce de mp3. Il faut l’objet, ne serait-ce que pour une question d’espace : un disque occupe une partie de l’espace géographique de celui qui le possède, il est là, tu tournes la tête et aperçois ton coffret The Fall, tu sais qu’il existe, tu peux l’écouter, le donner, le prêter à une amie perfide qui ne te le rendra jamais. Il fait concrètement partie de ta vie et t’affecte donc infiniment davantage que l’intégrale des Stones que tu possèdes en mp3 et que tu écoutes en historien, sans implication réelle. Cela dit c’est peut-être un point de vue de fétichiste, oui : je connais des gens qui se foutent authentiquement du format sur lequel ils écoutent le dernier Psychic Tv. Mais pour ma part, j’ai gardé mes réflexes d’adolescent : ma vie peut changer avec un vinyle (ou une cassette audio TDK, je ne suis pas snob) entre les mains.
Sur ton site web, tu te présentes également comme « Compositeur et illustrateur sonore ». Est-ce ainsi que tu gagnes ta vie ? En quoi consiste ce travail ?
Je me consacre en effet depuis quelques mois à l’habillage d’images, principalement dans le milieu du film et du jeu vidéo indépendant. Il va d’ailleurs falloir que je remodèle mon site web pour y intégrer ces nouveaux éléments. Je ne suis pas du tout quelqu’un de « visuel » à la base, c’est donc un défi assez palpitant pour moi de réimaginer ma musique en fonction d’un support visuel, d’y intégrer une trame narrative ou une ambiance, non plus au service exclusif de la composition, mais dans un cadre de fusion. Je crois que ma musique se prête bien à ça. Et oui, je commence doucement à gagner ma vie ainsi… bien sûr, je débute tout juste dans le domaine, donc il faut cultiver une certaine ouverture d’esprit. A priori, je peux même accepter de travailler sur un film d’entreprise. Tu t’en doutes, ce n’est pas ce que je préfère faire, mais l’exercice serait assez décalé pour me séduire, je pense.
Oui… j’imagine assez bien ce que tu pourrais faire pour la COGIP (la boîte de la série Message à caractère informatif), par exemple. Mais avant d’en arriver à cette collaboration fructueuse (que j’appelle de tous mes vœux), peux-tu me dire quelle sera la prochaine sortie musicale featuring Nick Grey ? Un album de Foxtrot Empire, avec cette reprise de «So What» que tu mentionnes plus haut ?
Tu me donnes une idée, là, je devrais peut-être effectivement me recycler dans la vidéo corporate 70s. Les prochaines sorties, dans le désordre, seront un album solo (avec ou sans le Random Orchestra, je ne sais pas encore), l’album de Foxtrot Empire, et sans doute celui de 48 Cameras lorsque Jean Marie l’aura finalisé. Rien de tout ceci n’est prêt pour l’instant, je suis, comme je te l’ai dit, en phase de réapprentissage total, donc ça prendra sans doute encore quelques mois. Mais je continuerai à distiller informations et nouveaux morceaux via myspace et virb.
Pour terminer, est-il envisageable de voir bientôt Nick Grey sur scène (en France ou ailleurs, vu tes fréquents déplacements à l’international), avec l’une ou l’autre des formations évoquées plus haut ? Ou donnes-tu la priorité à ton travail en studio ?
Je sais que je dis ça tous les ans mais oui, l’aspect live est une priorité absolue. C’est fabuleux mais un peu difficile pour moi. J’ai tendance à vivre toutes ces expériences de manière très intense et j’en sors littéralement changé à chaque fois. Je vais faire en sorte de rendre le prochain Nick Grey possible à reproduire en live. J’adorerais me produire seul sur scène avec quelques instruments et quelques bouquins. Soyons aventureux, disons 2010 ! De toute façon, il paraît que tout s’arrête fin 2012, donc il est peut-être temps que je m’y mette.
Pour en savoir plus :
Nick Grey : www.nick-grey.com et www.myspace.com/nickgrey
Foxtrot Empire : www.myspace.com/foxtrotempire
48 Cameras : www.48cameras.com
Une réponse à “Artmeeting #003 – Nick Grey : « Renouer avec la notion de plaisir pur en musique »”
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