Le clash de l’été : l’Art vs. la Pizza !


Retour sur un phénomène qui n’est pas si nouveau, avec un site qui a « fait le buzz » (comme ils disent) il y a deux-trois ans déjà : The Most Awesomest Thing Ever.

Le principe du site : se lancer dans la quête du « truc le plus mieux de tous les temps » (traduction approximative). Pour cela, les internautes qui se connectent au site sont invités à voter pour l’un ou l’autre de deux « trucs », affichés aléatoirement à l’écran. Ces votes alimentent une base de données mise à jour en continu, capable de produire un classement au jour, à la semaine, et, donc, « de tous les temps ».

Le site permet d’organiser une confrontation entre tout et n’importe quoi (du moment que ce n’importe quoi possède une entrée dans Wikipedia – on compte actuellement 4409 de ces « trucs » répertoriés sur le site). Quelques exemples, parmi tant d’autres : la vie, Internet, John Malkovich, la tectonique des plaques, la musique de Tetris, Febreze ou Pantera.

Ou encore : l’Art vs. la Pizza, donc…

Bien entendu, précisons tout de suite que le site est une vaste blague ludique et sophistiquée de geeks, qui copie d’ailleurs les codes et la mise en scène des jeux de baston à l’ancienne (Thing One vs. Thing Two, à grands renforts d’effets graphiques, de grosses voix off façon Rambo, etc.).

Mais il n’y a rien de plus rigolo que de prendre au sérieux ce qui n’est pas destiné à l’être (sauf peut-être partir en vacances loin sous les tropiques, mais ce n’est pas pour tout de suite – encore 48h).

Une première remarque intéressante (même si légèrement hors sujet) : par principe, n’existe, sur ce site, que ce qui existe sur Internet (avec l’arbitrage suprême de Wikipedia). En bref, le site reprend ce qui commence à ressembler à une loi fondamentale de la nouvelle génération numérique : si quelque chose existe, alors ça existe sur Internet (et, inversement, si ça n’existe pas sur Internet, c’est que ça n’existe pas tout court). Ça me rappelle la réaction de mes étudiants de dernière année d’une grande université parisienne, qui demandaient à un entrepreneur ayant créé et développé de toutes pièces sa propre activité de services à la personne « s’il avait commencé par créer un site Internet ». Touchant…

Plus encore, ce site a pour fondement l’ambition (démesurée…) de « mesurer« . Ce ressort est en lui-même profondément ludique : il est l’essence même de bien des jeux vidéos (cf. l’objectif du High Score), dont le site s’inspire ouvertement (et même l’essence de bien des jeux tout court : score aux jeux sportifs, aux jeux de cartes, etc.). Le ludique se mesure, d’ailleurs on « se mesure » à un adversaire lors d’une rencontre sportive, un tournoi de poker, etc.

Mais bien entendu, l’activité de mesure ne se réduit pas à la sphère des jeux. Je suis bien placé pour le savoir, une partie de mon activité consistant à aider un client à mesurer… presque tout et n’importe quoi également : le succès d’un produit, d’une campagne de pub, d’une mesure politique, la portée d’un fait d’opinion, etc. Ici, l’activité n’est pas exactement ludique, même si le client « met en jeu » des sommes importantes. Mais précisément parce qu’il prend un risque économique plus ou moins important, le client a souvent un besoin de réassurance qui va au-delà du raisonnable. Il attend trop de la mesure, des statistiques, et développe parfois une religion du chiffre qui l’amène à vouloir tester tout et n’importe quoi, de n’importe quelle manière, pourvu que cela amène à la production d’un chiffre grâce auquel il pourra justifier une prise de décision.

A l’inverse, The Most Awesomest Thing Ever a le mérite de son principal défaut, à savoir l’absurdité : aucun enjeu ici, cette hiérarchie s’avère totalement farfelue et improductive, et n’a aucun enjeu économique revendiqué. Relire à cet effet Roger Caillois, cité dans la revue Tank (n°1, été 2012) :

Le jeu est une activité qui ne produit ni biens, ni richesses

En réalité, les problèmes commencent quand le client croit fermement que la mesure de toutes choses est le seul chemin qui mène à la création de richesse…

Ah, et l’Art vs. la Pizza dans tout ça ? Aux dernières nouvelles, la pizza se hissait à la 9ème place du « truc le plus mieux de tous les temps », et l’art n’apparaissait même pas parmi les 100 premiers du classement… Il faut que je pense à convertir ce site en blog gastronomique, si je veux faire de l’audience chiffrée…

4 réponses à “Le clash de l’été : l’Art vs. la Pizza !”

  1. Morning meeting est de retour !!
    Y’a une pub marrante à la radio en ce moment: « marre des pizzas, marre des pâtes alors venez à la pataterie! » Comme quoi tout commence en pizza et finit en patate.

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