Ce pourrait être, dans l’esprit pop-rock/érudit du Lipstick Traces de Greil Marcus, une nouvelle façon de raconter cette « histoire secrète du vingtième siècle ». Celle des passerelles et collaborations, parfois célèbres, souvent inattendues voire obscures, entre pratiques artistiques et courants musicaux. Fans de l’un, de l’autre et surtout de la rencontre des deux, il vous reste tout juste une semaine pour aller vous plonger dans l’expo Vinyl à la Maison Rouge, à Paris.
Vinyl, c’est l’exposition de la collection de pochettes d’albums (époque disques noirs 33 tours vinyles, donc) du commissaire d’exposition et éditeur Guy Schraenen. Seul fil directeur : l’éclectisme et le bon vouloir du collectionneur, des icônes pop et rock (Beatles, Rolling Stones, Factory d’Andy Warhol…) aux formes musicales les plus exigeantes et obscures (musique concrète ou minimaliste des Philip Glass, György Ligeti, Steve Reich, etc., rock et électro industriels d’Einstürzende Neubauten, Laibach, Esplendor Geometrico…). Pour être honnête, prédominent quand même nettement les courants musicaux expérimentaux, les enregistrements uniques retranscrivant des performances artistiques rares, et les pochettes d’albums illustrées par des artistes célèbres en éditions originales et/ou extrêmement limitées.
On est donc invités à une plongée dans une forme d’art aujourd’hui quasiment disparu (« que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître »), où on croise tous les courants artistiques et musicaux, ou presque, de ces 40 à 50 dernières années. C’est une véritable caverne d’Ali Baba pour les amateurs éclairés. On peut se perdre pendant des heures dans le détail d’une pochette, la contemplation d’une œuvre rarissime, la découverte de collaborations insoupçonnées… l’écoute des œuvres également, puisqu’une salle permet d’écouter au casque près de 300 albums parmi ceux exposés. Après, il faut bien dire que le profane absolu pourrait se sentir un peu perdu au milieu de la quantité d’œuvres exposées, car cela manque cruellement d’informations contextuelles et de mise en perspective.
Un manque compensé, dans mon cas, par la chance d’avoir bénéficié d’une visite guidée par Frances Guerin, enseignante et critique d’art. Vous pouvez d’ailleurs lire son propre compte-rendu de l’exposition (en anglais) sur son blog.
Bon, et question œuvres, qu’est-ce que ça donne, alors ? On trouvera pêle-mêle :
- Des enregistrements de performances artistiques mêlant visuel et musique, comme la Symphonie monoton d’Yves Klein, les performances en duo au piano de Joseph Beuys et Nam June Paik, ou les enregistrements d’actionnistes viennois comme Hermann Nitsch,
- Des couvertures d’albums de groupes rock, électro et industriels de légende,
illustrés par eux-mêmes : le collectif slovène Laibach, branche musicale du mouvement Neue Slovenische Kunst (NSK, « nouvel art slovène »), ou certains des plus célèbres albums des Residents, parmi lesquels Eskimo (1979) et The Third Reich’n’Roll (1976),
- Toute une section consacrée au mouvement beatnik : enregistrements de la poésie sonore de Jack Kerouac notamment, œuvres Dial-a-Poem de John Giorno et de divers artistes ayant collaboré avec lui,
Une découverte et curiosité absolue pour moi : un album du groupe new-wave Thick Pigeon : Too Crazy Cowboys (Fact 85), enregistré pour Factory Records (le label mancunien de New Order et Joy Division, pas celui d’Andy Warhol), et auquel participent justement Steve Morris et Gillian Gilbert de New Order,
- Des collaborations entre groupes pop, rock, et pointures de
l’art contemporain. Citons notamment Daydream Nation (1988) de Sonic Youth, album illustré par Gerhard Richter, Greetings from the Gutter (1994) de Dave Steward par Damien Hirst, ou encore Speaking in Tongues (1983) des Talking Heads, illustré par Robert Rauschenberg,
- Citons enfin toute une section consacrée aux fameuses pochettes dessinées par Raymond Pettibon pour Sonic Youth ou Black Flag notamment
On y va pour fureter, reconnaître, dénicher, et découvrir, qui un artiste, un morceau, ou un courant artistique… Ajoutons que la Maison Rouge est un lieu agréable, auquel les apéros/DJ sets programmés le jeudi, en marge de l’exposition, donnent une coloration arty et branchouille pas désagréable dans un arrondissement (Paris 12ème) qui, il n’y a pas si longtemps, ne se signalait pas par l’exubérance de sa vie nocturne et artistique… C’est désormais chose faite.
Exposition « Vinyl, disques et pochettes d’artistes » : la collection Guy Schraenen à la Maison Rouge, Paris, du 19 février au 16 mai 2010.
Information pratiques et renseignements sur le site de la Maison Rouge.